Blazé… (Ecrits)


 

J’ai la mâchoire qui me fait mal ; J’ai les dents qui se serrent et le cœur qui s’endurci… Parfois même je sens mon poing qui se fige et qui menace, les bras le long du corps certes, mais le poing fermé… Il ne me reste plus qu’a lever le coude pour entrer en résistance et laisser ma colère s’abattre sur les restes du monde…

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J’ai les jambes qui sautillent dès que mes fesses font reposer le reste. Parfois c’est le mal de tête qui me tient; alors j’ai les jambes qui se balancent sans cesse pour faire passer la douleur.  Le sommeil se fait rare, les sourires aussi, je sens que mon calme légendaire me lâche… Mon corps est en manque, il se hérisse… Le cerveau en ébullition, les idées en vrac, j’attends ma dose comme un toxico… Je grossis aussi… Mon corps a faim plus que de raison et je n’ai plus les ressources nécessaires pour résister à la nourriture. Trop de résistances en cours, celle-là a du mal à tenir… Il grogne. Mon ventre me fait mal. Je ne sais pas s’il a mal parce que j’ai la « boule au ventre » ou si c’est tout ce que j’ingurgite qui me pèse… J’ai le cerveau qui n’arrête pas de cogiter. Comme je le dis souvent, je ne suis pas tout seul dans ma tête. Mais la dernière fois qu’on a fait le point entre nous, j’ai trouvé qu’on était encore plus nombreux ! J’ai tellement d’idées, de projets, d’envies ! A elles seules y’a de quoi tenir un temps plein ! Je coure dans tous les sens, je commence dix choses à la fois, et j’en redemande jusqu’à ce que la journée s’éteigne, blazé de n’avoir rien pu finir… Je suis en manque il me faut ma dose…

Comme chaque soir je passe en revue tout ce qu’il me ferait du bien pour me sortir de là. Il me faudrait tout d’abord prendre soin de moi. Enfourcher mon VTT comme un cowboy et me prendre une pédalée sauvage a travers champs, sentir l’herbe chaude de l’été après un orage, voir sauter les sauterelles devant ma roue, surprendre un chat expliquer la vie a une musaraigne, ouvrir mes bras au vent et me casser la gueule dans un champ de blé ! « Sans les dents maman » !!! J’aime cette sensation d’avoir les muscles qui travaillent, transpirer pendant l’effort, avoir mal au muscles pendant trois jours. On a mal, on souffre, ont pu la transpiration mais putain qu’est-ce que c’est bon de sentir son corps vivre !!! Je sens le miens qui s’encrasse… Pourtant j’ai toujours mon vélo dans la voiture, prêt au départ. Les roues bien gonflées, une tenue de vélo toute propre, des lampes toute neuves pour prolonger le plaisir en nocturne, tout est là…

Ouais ? Non pas du tout ! Comment ?! Oui la question est évidemment légitime… Effectivement cela me défoulerait, ça me ferait du bien. Je le sais. D’ailleurs a chaque fois que j’en reviens, dégoulinant de plaisir je me dis : « la même demain » ! Alors pourquoi je ne le fait pas ? Le temps mon ami-e, le temps… Moi qui me revendique de l’altermondialisme, je fais balbutier ma vie dans un contexte bien systémique. Je suis comment dire…en transition ! J’ai les idées et les besoins d’un « alter », le contexte et les capacités d’un « gentil mouton ». Prisonnier d’un classique métro boulot dodo, ou l’heure tourne plus vite que les besoins, avec un rythme familial finalement bien conventionnel ou pour que chacun trouve un peu d’espace, on efface pas mal de ses besoins au profit de sa famille. Pas le temps de partir faire deux heures de vélo quand madame ne rentre pas avant 20h15. Il faut faire a manger, partager quelques instants avec ses enfants, ouvrir son courrier… Je vous passe les détails d’une journée ordinaire, on a tous nos impératifs. Le système et sa « valeur travail » laissent peu le temps a l’humain et encore moins de temps pour soit. La valeur travail qui disent…Le coût du travail aussi ! Je leur en foutrai ! Je sais ce qu’il me coûte moi le travail ! Il me coûte ma santé, celle de ma femme, ma vie de famille, mes projets, et il me coûte surement l’avenir de mes enfants ! Pollution, malbouffe, droits sociaux, droits humains, qu’auront-ils vu sacrifier au nom de leur valeur travail ?

Les weekends sont tout aussi chargés, parfois plus ; « vivement lundi qu’on se repose »…  Bref, le vélo attendra donc mes prochains déplacements… Le dernier en Bretagne, ne m’a pas permis l’épopée bicyclée… Trop de gens à voir, de choses à apprendre, ce dernier déplacement était plus tourné vers les résistances et l’échange que le sportif. Chargé de rencontre et de partage, j’ai profité au maximum de ceux qui m’entouraient, de leur militantisme, et de leur capacité a l’exercer. Je n’ai peut-être pas pédalé, mais je me suis ressourcé… Dommage pour mes poignées d’amour qui n’ont pas dégraissé…

Le prochain déplacement c’est la semaine prochaine. Direction le 77, Brie comte Robert. Je ne pédalerai encore pas… Le cowboy des VTT enfourchera cette fois son rôle de « drôle de Papa toujours absent ». La bas, ce n’est pas le boulot qui m’y attire, bien que j’y monte pour ça, c’est ma fille ! Huit ans, une jolie frimousse à tomber par terre, un petit côté taquin super agréable et une intelligence redoutable : Noémie. Rien que de prononcer son nom, mon corps tremble, mon cœur se serre et mes jambes sautillent a nouveau. C’est con, en écrivant j’avais la sensation de m’être calmé… Quand il s’agit de Noémie, je perds pied. J’aime ma fille comme pas possible, mais mes capacités à être un bon père pour elle m’échappent. Ce n’est pas l’envie qui m’en manque, non, soyons clair sur ce point ! Juste les capacités. Huit cents kilomètres de distance, une femme jalouse de mon ex, du temps qui file sans pouvoir le saisir, un côté maladroit parce que pas le mode d’emploi (pourtant sagement intitulé « comment rester un bon père en toutes circonstances »), une fille qui comprend tout à ce qui se passe sauf « pourquoi, de ses deux sœurs, elle est la seule à ne pas pouvoir profiter de son papa », bref, par ou prendre le torchons qui brûle ? Sans compter l’argent… Heureusement que le travail me permet de me rendre régulièrement (3 à 4 fois par an) à deux kilomètres de chez elle, parce que ce n’est pas mon découvert dès le 15 du mois qui va me financer le voyage  aller-retour à Paname… C’est quand même un comble que ce soit cet esclavagisme que je combat, cette course a la croissance et leur valeur travail de merde qui me permette de voir ma fille… Vraiment un comble… Paradoxal même… Comme j’imagine  à quel point je peux lui manquer,  elle me manque aussi terriblement. D’autant plus qu’à la maison, Noémie est un sujet tabou. Je ne peux pas y exprimer mon manque, mes émotions, je ne peux pas la faire vivre ailleurs que dans mon cœur. Le sujet est tellement difficile que même les filles hésitent à en parler. Quand je leur donne des nouvelles ou leur glisse sous les yeux des photos, leurs premier regard se tourne vers Emilie (ma femme) pour savoir s’il elle ne les voit pas. Du coup chacun garde pour soit son ressenti concernant Noémie. La vie à la maison se passe comme si elle n’existait pas, ça fait mal. J’ai le poing qui se serre à chaque fois que mon cœur pense à elle.

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Le sujet n’est pas vraiment interdit, personne n’a clairement dit «  Je ne veux pas que vous parliez de Noémie !! » Non c’est une interdiction de fait. Emilie, par sa jalousie, fuit le sujet. SI j’ai une fille, j’ai une ex, et une ex, ça lui fait peur. D’autant plus que mon ex, à ma connaissance, n’a pas refait sa vie. Donc ça fait peur à ma femme. L’historique est semé d’embuche entre ces deux femmes. Des destinées croisées a des moments qu’il ne fallait pas on définitivement encré la peur et la haine de mon ex dans l’esprit de ma femme. C’est une peur si intense, si présente, que tout ce qui va lui rappeler sa présence est à fuir, ma fille avec. Pas même une photo n’est regardable. « Chérie tu veux voir la dernière photo de Noémie ? » « Non ». Bon… je repasserai plus tard… je pars ronger ma peine dans mon bureau. A la simple évocation de Paris, de Noémie ou de mon ex, les larmes montent chez ma femme comme un vieux reflex de Pavlov incontrôlable ; le corps se fige la douleur s’installe, le mode défensif prend le dessus, l’agressivité ne tarde pas ; ce qui reste à vivre de la journée sera en mode Off. Pour elle… pour moi… Bonheur au placard. Ma fille n’a pas sa place chez moi, je l’ai bien compris. Je tenterai la prochaine fois, ou peut-être je craquerai la prochaine fois, quand la tristesse, la haine et l’impuissance auront eu raison de mon calme légendaire. Je suis en manque… J’ai besoin de ma dose… J’ai le palpitant qui s’exite, j’ai la haine qui monte en moi…

Bon la semaine prochaine je ne ferai pas de vélo, je jouerai avec ma fille, Noémie. Je cacherai mon bonheur à ma femme, de toute façon trop occupée à devoir la rassurer sur le principe selon lequel, si je sors à 23h ou 1h du mat de chez mon ex, ce n’ai pas pour avoir trempé le biscuit dans le passé, mais pour avoir profité au max de ma fille au présent.

Quand je suis là-bas, je dévore tout ce que mon ex me propose sur Noémie.  Toutes ses photos, ses vidéos, ses carnets de note, ses chez d’œuvre d’école ! Toute cette vie que ma fille vie sans moi… Je reste jusqu’à tard écouter mon ex me raconter ces anecdotes qui font que la chair de ma chair existe enfin dans ma vie. J’apprends et je sourie de son amour pour sa « Bella » le poney dont elle s’occupe, sa passion pour la GRS et ses médailles décrochées… Je me sens souvent très gauche, pas sur de moi et très mal à l’aise à chaque fois que je monte là-bas. Moi qui ai autant d’assurance et de certitude ici chez moi, je ne sais pas comment me positionner avec ma fille la bas. Toujours peur d’être a côté de faire une gaffe… Peur de louper quelque chose… bref je prends ma dose sans demander mon reste, ne sachant quoi trop en faire et avec qui le partager ensuite… Il y a de quoi déstabiliser un homme et je lui suis, sans aucun doute…

J’ai toujours ma boule au ventre… Je viens de manger. J’ai pris une salade, et culpabilisé au dessert. Je dois retourner bosser, mais je n’en ai pas envie… Comme beaucoup de gens en fait… Ce n’est pas bosser en tant que tel qui m’ennuie, je ne suis fainéant, c’est bosser pour rien, dans un monde vide de sens, bosser pour « gagner sa vie » sans réel projet de société que la croissance de l’entreprise, du compte en banque des riches et l’évolution économique de la France au sein de la zone euros… Merde… Pas envie de servir ce système dépassé, basé sur l’argent, le tout au mépris de l’être. Surtout quand on est « alter » et que l’on connait le champs des possibles, la force des alternatives, là ça fait doublement chier de servir les intérêts de l’ennemi… J’ai autre chose a foutre que de voir des chiffre grossir sur mon compte en début de moi et virer en négatif en milieu de mois… Je les emmerde avec leur chiffre ! Je veux gagner ma famille, de l’amour, du partage, des émotions, des projets individuel et collectifs accomplis, pour lesquels on a transpiré, parce que derrière il y a des valeurs humaines et un objectif de vie concret pour nos enfants ! Je veux contribuer a inventer demain, pas a servir la mélasse d’aujourd’hui !

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Je sens que j’ai besoin d’avancer sur tout ça… Je sens que des changements doivent s’opérer en moi et dans ma vie pour calmer cette haine qui monte… J’ai besoin d’y voir clair et de mieux me comprendre, moi et mes emmerdes. Besoin de faire une réunion générale dans ma tête et que tous ensembles on fasse le point : Réunir la sagesse et la raison, le père et le mari, l’amant et l’ami, l’altermondialiste et le salarié, l’idéaliste et le pragmatique, le fou et le sérieux autour d’une thématique qui s’annonce folklorique : Comment comptes tu gérer demain ?

Ce qui me fait le plus mal, c’est que souvent, avec un peu de sagesse, de temps, d’amour et de conviction tout pourrait s’arranger… Les seuls éléments qui freinent au bon déroulement des choses sont finalement toujours les mêmes, obscènes et inhumains  : L’argent au centre et ses valeurs autour… Si le travail n’agissait pas en maître, et si je n’étais pas enchaîné a lui comme un esclave, alors j’aurai pris une année sabbatique pour reconstruire ma vie. J’aurai pris le temps de réconcilier ma famille et d’y remettre un peu de sérénité, J’aurais pris le temps de me reconvertir et de pousser mes projets a leur terme, j’aurais pris le temps d’être un alter amoureux de la vie, libre de ses mouvements et œuvrant pour que ma vie passée ne soit jamais celle de mes enfants dans le futur…

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Quand je me lis, j’ai mal au ventre de voir cette colère s’exprimer. Mal au cœur de prendre conscience de ma peine, moi qui me l’a suis toujours caché. Non vraiment je n’aime pas me relire… Mon post n’est ni drôle ni intéressant, ni juste. Pas drôle… bon le sujet ne l’ai pas. Pas intéressant parce qu’il se lamente et n’apporte rien. Pas juste, parce qu’il ne parle pas des bonheurs que je partage pourtant chaque jour et malgré tout.

J’imagine parfois le type de mon âge, perdu dans sa vie au fin fond de l’Afrique, pris sous le feu nourri des milices contre celui de l’état, tiraillé par la faim, avec pour seul projet que de survivre ; Je l’imagine parfois me dire :

«  Comme toi j’ai mal au ventre; moi c’est la faim, toi c’est la colère. Si toi tu n’arrives pas à voir vivre ta fille là-bas, moi je n’arrive pas a voir mourir la mienne ici. Tu es peut être esclave du travail ? Moi de ne pas en avoir ! Esclave de l’argent que tu possèdes ? Moi de ceux qui en ont ! Mais n’oublie jamais mon frère, que si nos malheur et nos devenirs sont différents,  notre ennemi nous est commun. »

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J’ai le visage crispé, les dents serrés et le cœur blazé. Il est temps pour moi de soulager le manque, de prendre ma dose…

– « Garçon, s’il vous plaît !! Donnez-moi une dose de liberté, le temps de faire, et un bon plein de force tranquille s’il vous plaît, j’ai le monde a reconstruire ! Merci ! »

– « Sur place ou à emporter » ?

– « A emporter ! Ça tiendra la route ? »

– « Ça dépend de la distance, monsieur… »

2 thoughts on “Blazé… (Ecrits)

  1. Un seul être vous manque….

    C’est ainsi que fonctionne l’amour et, encore plus je crois, l’amour paternel, maternel, parental quoi, lorsqu’il manque un enfant, le reste est quoiqu’il arrive difficile à vivre quand bien même il peut s’agir de grandes joies, elles seront toujours entâchées de ce manque.

    Garçon ? La même chose s’il vous plait !

  2. Mal.

    Mal de voir que certain(e)s ont tout pour etre heureux(se) mais ne le sont pas à cause de broutilles qui ne riment à rien…Alors que d’autres aimerai avoir leur vie car ils savent ce que sont les vrais valeurs…
    Arrachée à mon père à cause d’une foutue maladie, je peux comprendre le manque que Noémie subit… Mais pour autant tu es là, certes, pas autant que tu le voudrais, mais tu sais et elle sait au fond d’elle qu’elle est dans ton cœur, à jamais.
    COURAGE et PATIENCE tous les deux. Viendra bientôt le jour où vous serez réuni, sans plus aucune contrainte, ni aucun secret ou cachoterie, ou vous pourrez être plus présent dans la vie de l’un et de l’autre. L’amour, qu’il soit paternel ou autre, gagne toujours.

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